jeudi 11 octobre 2012

La poursuite en deux temps

Défendre un titre pour une troisième année consécutive ça peut rendre nerveux. Je l’étais. Une sensation intérieure qui fait changer le rythme cardiaque et qui donne des chaleurs.  Il suffit d’y penser une fraction de seconde pour avoir cette dôle de sensation pendant de longues minutes.

Je suis venu au Championnat du Monde des Maitres sur Piste à Manchester sans référence, cette fois-ci. Pas de championnats canadiens, ni québécois, pour me guider suite à ma fracture de la mâchoire qui m’a mis sur un repos forcé pendant 2 semaines.  Seulement un peu de «home-trainer» en respirant la bouche fermée à travers des broches qui me donnaient un look à la Annibal Lecter.   Un effort de plus de 200 watts me forçait à ouvrir mes joues avec les doigts pour essayer de faire passer l’air dans mes poumons.  Pas fort pour développer la puissance nécessaire pour la piste, sachant que je fais une poursuiteà une puissance près de 500 watts.  Le jour où les broches furent retirées, je savais que reprendre le temps perdu demanderait des efforts intenses et que chaque jour allait compter. Je me suis fait mal, sans savoir si je progressais réellement.  Le vent d’automne nous fait toujours sentir lent quand on roule sur la route sans compter l’état pitoyable de la chaussé à Montréal et ses alentours. 
Mercredi, c’est le jour de vérité. À l’échauffement, j’ai de bonnes sensations. Je roule près de la balustrade à 50km/h sans problème.  Je sais que je devrai faire 54 km/h pendant ma poursuite pour faire un temps de 2:20 avec un départ arrêté.  Ça devrait me qualifier pour la finale pour l’or.

L’attente est longue.  Mon départ est prévu que vers les 13h. Je serai le dernier à partir et contre Claus Christiansen, le médaillé d’argent de l’année passée. Mes pensées se laissent aller et je passe par plusieurs périodes de nervosité et je les relâche en pensant aux sensations du matin et celles que j’avais au vélodrome de Roubaix. Je ne devrais pas être déçu si je ne performe pas.  Je le sais, ma blessure est une bonne excuse. Mais je veux gagner.

Mon départ arrive.  Michael Popplewell  vient de faire le meilleur temps avec un 2:20,33, Je dois faire mieux ou battre Christiansen et faire sous les 2:23 (le deuxième meilleur temps de la journée).
Sur le bloc de départ Claus Christiansen tarde à arriver. Je descends de mon vélo et je remonte une minute plus tard.  Nous sommes prêts.  Trois grandes inspirations et le bib des 30 secondes résonne, puis  celui des 10 et le décompte des bips de 5 à 0.  Mon synchronisme est parfait je sors en douceur sans effort. Je prends de la vitesse, un peu trop.  Je suis à 55 km/h (16.3 sec au tour de 250m). Tout va bien j’ai deux secondes d’avance sur mon temps avec 500 m à faire. Puis paf le coup dans les jambes.  Je force,  je pousse comme si on m’avait coupé les artères qui mènent à mes cuisses.  Plus rien,  je perds une seconde au tour.  Je fais un 2:20,48, Je me classe deuxième.  Je suis à 0.15  seconde de l’australien  Popplewell .  La finale sera vers 19h.

Étendu à côté de Pascale, je dors dans le petit box des Canadiens, sous le bruit de l’équipe Britannique qui s’entraîne sur la piste.  Les plus rapides du monde… Je rêve !  À mon réveil je vois deux équipes de poursuite faire des 3 km lancés à plus de 60km/h de moyenne.  Impressionnant de voir que 8 coureurs sont en mesure de tenir ce rythme alors que le Canada  ne dispose même pas de 4 coureurs en mesure de faire ces temps.
Je suis prêt pour ma poursuite.  Je la ferai comme toutes les finales.  Observer mon adversaire, me garder de l’énergie et tout donner  à 750m de la fin.  Peter Toth est mon point de repère sur le bord de la piste pour me montrer où est mon adversaire.  Impossible de regarder de  l’autre côté de la piste.  Je perdrais trop de vitesse en me retournant pour regarder de côté.  

Sur la ligne de départ, ma gorge est toujours irritée de l’effort du matin.  Je tousse encore en grimpant sur mon vélo. À 30 secondes, je racle ma gorge une dernière fois.  Le bip du départ se fait entendre. Je pars avec un bon rythme, cette fois, je suis tout juste sous les 54km/h. Je me sens bien, je sens que je peux garder cette vitesse.  À 1000 mètres je suis à 1 seconde derrière Popplewell. Je ne panique pas. À 750m j’ouvre la machine, 10 coups de pédales pour accélérer.  Je sens l’accélération, elle est formidable.  À 500m, je passe à égalité contre l’Australien, à 250m j’ai une demie seconde d’avance, je sais que je vais gagner.  J’entends Pascale me crier des estrades Go Stéphane Go.  J’ai des frissons, je vais passer la ligne et je serai champion du Monde de la poursuite pour une 3e année consécutive. Je pousse à fond et je sens que je ne perds pas de vitesse. Je passe la ligne, coup de pistolet pour moi et une seconde et demie plus tard, coup de pistolet pour Popplewell.  J’ai relevé mon défi en plus d’améliorer mon temps de la qualification par 2/10e de seconde.

Sur le podium, j’ai vu plusieurs  poursuiteurs partager les marches à mes côtés.  Je suis heureux d’avoir été constant trois années consécutives.
Le canadien Mike Nash, membre de l'ACVQ, qui avait réussi à se qualifier 4e,a fini sa finale à deux secondes du médaillé de bronze dans la catégorie 45-49 ans. Je suis fier de lui car il a amélioré son temps de 5 secondes, par rapport à l’année passée.

4 commentaires:

  1. Paroles d'un vrai champion!

    Je ne devrais pas être déçu si je ne performe pas. Je le sais, ma blessure est une bonne excuse. Mais je veux gagner.

    Félicitations Stéphane!

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  2. J'adpre quand tu racontes le "comment" de la victoire. A+

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  3. Felicitation tu est un modele pour tous

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